Mardi-Gras et autres jours fous.

Si l'on croit le calendrier, malgré la crise annoncée (et qui n'est pas forcément de rire), ce mardi fut gras.
Plusieurs années de suite, la pharmacie du Passocéan qui abrite dans ses cintres le plus petit et le plus zygomatique musée de France, pour perpétuer la tradition, fête le Mardi-Gras en officiant toute cette journée, en costume d'époque.
Mais quelle époque me direz-vous ?
Réponse :
 Suivant les années, l'époque d'Alphonse, fin 19 ième, ou Passocéan oblige, l'époque colorée des rois de la flibuste.  Avec une année, un soupçon déguisé d'époque Renaissance.

La première année-inauguration de ce jour "où-l'on-se-prend-pour-un-autre", les clients sont invités à entrer dans l'officine, portant eux aussi, costume ou simple chapeau !
Une crêpe, un verre de cidre, ou pour les non-adeptes de cette boisson normande, un verre de jus d'orange des îles Lahila, leur sont offerts.
Et cerise sur la crêpe, en 2005, pour l'enregistrement du magazine-TV : Echappées belles, ce Mardi-Gras fut reconstitué ..... au mois d'octobre.

Mardi-Gras ! Un jour de danse pour les confettis, qui pour eux n'est pas une valse de stress.
Au temps d'Alphonse, Mardi-Gras était fort célébré à Paris.
Alphonse Allais, garçon à l'âme sensible s'intéressa prodigieusement au sort des vieux confettis et se posa vite la question :
- Le lendemain du Mardi-Gras et autres jours fous, où vont les vieux confettis ? 
Que deviennent-ils ?

Et pour que ces confettis ne connaissent pas les affres de la vieillesse, Allais fonde : La Nouvelle Société centrale de lavage des confettis parisiens.

Rien de plus curieux que le fonctionnement de cette industrie.

Interview :
- Vous êtes coItaliquentremaître-chef de la N.S.C.D.L.P. Décrivez-nous ce procédé.
- Voici, en trois mots : le lendemain du Mardi-Gras, des employés à nous, munis d'un matériel "ad hoc", ramassent tous les confettis gisant sur le sol parisien et les rapportent au siège social.
- Bon.
- On les soumet à une opération préalable qui s'appelle le "triage", et qui consiste à séparer les confettis secs des confettis mouillés. Les premiers passent au ventilateur, qui les débarasse de la poussière ambiante : c'est le "dépoussiérage".
- Je l'aurai parié !
- Ceux-là, il n'y a plus qu'a leur faire subir le "défroissage", au moyen d'un petit fer à repasser élevé à une certaine température .... Restent les confettis mouillés. On les mène, au moyen de larges trémies épicycloïdales, dans de vastes étuves où ils se dessèchent.
C'est ce que vous appelez le "désséchage" ?
- Précisément ! Une fois desséchés, les confettis sont violemment projetés dans une boîte dont la forme rappelle un peu celle d'un parallélépipède. Cette boîte est munie d'une petite fente imperceptible de laquelle s'échappe -un à un - chacun des petits disques de papier. A la sortie, le confetti est saisi par une minuscule pince à articulation et soumis à l'action d'une mignonne brosse électrique et vibratile. C'est ce que nous appelons .....
- Le "brossage".
- Précisement ! ... une autre sélection s'impose. Parmi les confettis ainsi brossés, il s'en trouve quelques-uns maculés de matières grasses, phénomène provenant de leur contact avec les ordures ménagères. Ces derniers sont soigneusement séparés des autres.
- C'est ce que vous appelez le "séparage".
- Précisément ! ...  Les confettis gras sont trempés dans une solution de carbonate de potasse qui saponifie les matières grasses et les rend solubles. Il ne reste plus qu'à laver à grande eau pour les débarrasser de toute réaction alcaline. Nous obtenons ce résultat au moyen du .....
- "Lavage à grande eau".
- Précisément ! .... Alors, on les remet à l'étuve, on les repasse au fer chaud ....
Mais là, ne s'arrête pas notre travail !  Vous n'ignorez pas, combien il est pénible de recevoir des confettis dans la bouche ou dans l'oeil ?
Désormais, ce martyre sera des plus salutaires. Les confettis, au moyen d'une imbibition dans des liquides de composition variable, acquièrent des densités différentes. Les plus lourds se dirigent vers la bouche, les plus légers dans l'oeil (ce calcul fut, entre parenthèses, d'une détermination assez délicate).
Les confettis destinés à la bouche sont imprégnés de principes balsamiques infiniment favorables au bon fonctionnement des voies respiratoires, alors que les confettis destinés aux yeux sont chargés d'éléments tout plein de sollicitude pour les organes de la vue.

Et le contremaître, vérifiant la commande pour livraison au Passocéan, d'ajouter :
- Parfois, nous sommes dans l'impossibilité de rendre à ces fragiles objets leurs vives couleurs d'antan. Nous avons alors résolu de les teindre tous en noir et de les débiter, lors de la prochaine mi-carême, dans les familles en deuil, à des prix défiant toute concurrence.

La pharmacie du Passocéan, là où Alphonse allait, nous irons !


                                                                  
                     
        Alphonse Allais en Pierrot Lunaire par Jean Veber.