NOTRE GRAND ROMAN-FEUILLETON

" L'AFFAIRE BLAIREAU "

DEUXIEME EPISODE DU TROISIEME CHAPITRE


Le lendemain, nouvelle lettre de la même provenance mystérieuse.
Le désespéré proclamait qu'il était de plus en plus désespéré, que son amour devenait de la folie, mais que, bien décider à ne pas sortir de cette ombre à laquelle il avait fait allusion dans sa lettre de la veille, il continuerait à souffrir en silence.
La brûlante correspondance se perpétua dès lors à raison de deux ou trois lettres par semaine.
Le fond en restait toujours d'idolâtrie pure, mais la forme en changeait souvent : tantôt farouche désespérance, tantôt résolution d'énergie avec parfois même, " volonté d'en finir, d'une façon ou d'une autre ".
Puis, tout à coup, un beau jour, un sombre jour plutôt, le facteur tant guetté, n'apporta plus rien à notre héroïne que des journaux ou des catalogues de nos grandes maisons de nouveautés parisiennes.
Arabella attendit.
Des semaines passèrent.
Le mystérieux inconnu semblait s'être retiré dans la plus impénétrable des ombres.
- Rien pour moi ? demandait, avec une angoisse qu'elle avait peine à dissimuler, Arabella au facteur.
- Rien, mademoiselle, répondait invariablement l'humble fonctionnaire.
Que s'était-il passé ? Quelle catastrophe avait brusquement interrompu cette délicieuse et troublante correspondance ? Il était impossible que cet homme, que cet amant fougueux, que ce désespéré ait vu soudain s'éteindre sa flamme ! Une flamme ne s'éteint pas sans raison ! Une passion ne disparaît pas sans avoir été assouvie ou, tout au moins, sans avoir été découragée.
Or, l'inconnu ne pouvait pas être découragé ; d'autre part il n'était pas assouvi ... " Allons, continuait à songer Arabella frémissante, pourquoi n'était-il plus ? S'est-il tué, ainsi qu'il me l'écrivait dans une de ces dernières lettres ?"
Elle relut cette lettre. La volonté d'en finir d'une manière ou d'une autre n'était pas formelle ; ce devait n'être qu'une façon de parler ...
Et Arabella se perdait en conjonctures, en raisonnements, en hypothèses de toutes sortes, son imagination enfantait deux ou trois roman par jour, dans lesquels s'entremêlaient les plus tragiques aventures.


Mais qu'est donc devenu qui ?  Vous le saurez peut-être en lisant le prochain épisode de notre grand roman-feuilleton :

" L'AFFAIRE BLAIREAU "

Texte d'Alphonse Allais
Illustrations de Claude Turier (A.A.A.)