NOTRE GRAND ROMAN FEUILLETON

" L'AFFAIRE BLAIREAU "

DEUXIEME EPISODE DU CHAPITRE QUINZE



- Qu'est-ce qu'il y a encore ?
- Réfléchissez bien. Pénétrez-vous de cette idée que vous n'êtes plus le simple et banal Blaireau d'autrefois.
- Je m'en pénètre bien, monsieur l'avocat ; mais, en quoi que je ne suis plus le simple et banal Blaireau d'autrefois ?
- En ceci que tout le monde aujourd'hui à les regards fixés sur vous.
- Diable ! 
- Votre nom n'est plus seulement votre nom à vous, il est devenu celui d'un scandale public.
- C'est parfaitement vrai.
- Et vous voilà tout naturellement désigné pour être le porte-drapeau des persécutés.
- Je le serai !
- N'oubliez pas que cette situation vous crée des devoirs auxquels vous ne sauriez vous soustraire.
- Rassurez-vous, monsieur l'avocat. Si vous me connaissiez mieux, vous sauriez que je ne suis pas un homme à me soustraire à aucun devoir. Le porte-drapeau des persécutés, oui, je le serai ! oui, répéta-t-il avec force.
- Bravo, Blaireau ! Dans votre poitrine bat le coeur des citoyens antiques ! 
- Hein ! qui est-ce qui aurait dit çà, l'année dernière, que je deviendrai porte-drapeau !
- Pour commencer, mon vieux camarade, vous dînez, ce soir, avec toute la rédaction du Réveil.
- J'accepte.
Ici, le directeur crut devoir placer une timide observation :
- Mon cher maître, je ne sais pas jusqu'à quel point les règlements intérieurs de la prison m'autorisent à laisser inviter mes détenus à dîner en ville. Mais étant donné les circonstances particulières ...
-
Oh ! oui, s'écria amèrement Blaireau, particulières, on peut le dire qu'elles sont particulières, les circonstances !
- Toute à l'heure, donc, mon cher Blaireau, je vais revenir vous chercher, et bientôt, quand s'ouvrira la période électorale, c'est vous qui serez le président d'honneur de toutes nos réunions.
- Président d'honneur ! je veux bien, mais est-ce que je saurai ? 
- Rien n'est plus facile. Je vous apprendrai.
- Je présiderai avec mon drapeau ?
- Quel drapeau ?
- Le drapeau des persécutés, donc !
- Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! Le drapeau des persécutés, cher ami, n'existe pas à proprement dire. C'est une figure... une façon de parler.
- Ca ne fait rien, je me tiendrai comme si j'en avais un.
- C'est cela ! ... A propos, vous allez probablement recevoir la visite de M. Dubenoît, le maire. Il va chercher à vous entortiller ... méfiez-vous.
"Justement, le voici ! "


Mais quelles nouvelles aventures se présentent à Blaireau-le-héros ? Vous le saurez, peut-être, en lisant le prochain épisode de notre grand roman-feuilleton :

" L'AFFAIRE BLAIREAU "

Texte Alphonse Allais
Illustrations Claude Turier (A.A.A.)