NOTRE GRAND ROMAN FEUILLETON

" L' AFFAIRE BLAIREAU "

EPISODE DEUX DU CHAPITRE TRENTE



- Blaireau a raison, confirma le président. M. Fléchard a droit à l'indulgence du tribunal. On a déjà fait trois mois de prison pour ce délit-là. (A Fléchard.) Le tribunal vous en tiendra compte et je crois pouvoir vous affirmer qu'avec une légère amende ...
- Une amende !
- Dans les seize francs ...
- Oh ! merci, monsieur le président, s'écria Arabella, vos paroles me mettent du baume dans le coeur !
Blaireau, qui décidément se sentait une vive sympathie pour Fléchard, proposa : 
- Il y aurait quelque chose de bien plus simple, se serait de l'acquitter. Si on l'acquittait tout de suite, monsieur le président, en vidant un verre ? Entendu, hein, nous acquittons Fléchard !
- Ici, cher ami, cela ne compterait pas, mais, je le répète, le tribunal sera indulgent, j'en réponds.
- D'autant plus, atténua Fléchard d'un air détaché, que la chose est insignifiante. Au Moyen Age on n'y aurait même pas fait attention. C'était le passe-temps favori des grands seigneurs de rosser les gardes champêtres ; Colbert, Sully, Agrippa d' Aubigné ne s'amusaient pas autrement !
- Oh ! protesta le président, Agrippa d'Aubigné ! ... je ne sais pas jusqu'à quel point Agrippa d'Aubigné ...
- Mais oui, affirma Blaireau, Agrippa d'Aubigné comme les autres ! ... Mademoiselle, servez-nous quatre verres de champagne ! Il y a longtemps qu'on n'a pas trinqué !
Et il ajouta tout joyeux :
- Agrippa d'Aubigné, je l'ai connu dans le temps. C'était un rude lapin !

Quelle sera la suite de cette prometteuse journée ? Vous le saurez, peut-être, en lisant le prochain épisode de notre grand roman-feuilleton :

" L ' AFFAIRE BLAIREAU "

Texte Alphonse Allais
Illustrations Claude Turier (A.A.A.)