Le journal du Petit musée. Numéro spécial Noël

Alphonse Allais, Dieu et le Père Noël. 

On ne saura jamais si Alphonse Allais croyait en Dieu et au Père Noël. Ou plutôt, s'il croyait en Dieu comme il croyait au Père Noël, et au Père Noël comme il croyait en Dieu. Tout est dans tout et vice-versa. 
Dans sa Vie drôle, Allais met en scène une bonne dix-neuvaine de fois Dieu et le Père Noël. 
Et Dieu, lui accorde même une interview exclusive dans Un nouvel organe.
Un Dieu bonhomme, avec une barbe blanche comme le Père Noël, ou celui de Jean Eiffel qui d'ailleurs, vécut à deux souffles et demi de la pharmacie natale des potards Allais (père et fils). 
Un Dieu bonhomme avec un sens unique, parfois giratoire, de l'humour : 

 Il commence à se faire tard. 
 La fête bat son plein. 
 Les gais compagnons sont haut en couleur, bruyants et amoureux. 
 Les belles filles, dégrafées, s'abandonnent. Leurs yeux, doucement se mi-closent et leurs lèvres qui s'entrouvrent laissent apercevoir des trésors humides de pourpre et de nacre. 
 Jamais pleines et jamais vides, les coupes ! 
 Les chansons s'envolent, scandées par le cliquetis des verres et les cascades du rire perlé des belles filles. 
 Et puis, voilà que la très vieille horloge de la salle à manger interrompt son tic-tac monotone et ronchonneur pour grincer rageusement, comme elle fait toujours quand elle se dispose à sonner l'heure. 
 C'est minuit. 
 Les douze coups tombent. Lents, graves, solennels, avec cet air de reproche particulier aux vieilles horloges patrimoniales. Elles semblent vous dire qu'elles en ont sonné bien d'autres pour vos aïeux disparus et qu'elles en sonneront bien d'autres encore pour vos petits-fils, quand vous ne serez plus là. 
 Sans s'en douter, les gais compagnons ont mis une sourdine à leur tumulte, et les belles filles n'ont plus ri. 
 Mais Albéric, le plus fou de la bande, a levé sa coupe et, avec une gravité comique : 
  — Messieurs, il est minuit. C'est l'heure de nier l'existence de Dieu. 
 Toc, toc, toc ! 
  On frappe à la porte. 
  — Qui est là ? ... On attend personne et les domestiques ont été congédiés. 
 Toc, toc, toc ! 
 La porte s'ouvre et on aperçoit la grande barbe d'argent d'un vieillard de haute taille vêtu d'une longue robe blanche. 
  — Qui êtes-vous, bonhomme ? 
 Et le vieillard répondit avec une grande simplicité : 
  — Je suis Dieu. 
 A cette déclaration, tous les jeunes gens éprouvèrent une certaine gêne ; mais Albéric, qui décidément avait beaucoup de sang froid, reprit : 
  — Ça ne vous empêchera, j'espère, de trinquer avec nous ? 
 Dans son infini bonté, Dieu accepta l'offre du jeune homme, et bientôt tout le monde fut à son aise. 
 On se remit à boire, à rire, à chanter. 
 Le matin bleu faisait pâlir les étoiles quand on songea à se quitter. 
 Avant de prendre congé de ses hôtes, Dieu convint, de la meilleure grâce du monde, qu'il n'existait pas. 

Alors qui croire, n'est-ce pas, Pierre Desproges ? Quand Alphonse Allais écrit : 
Je lui dois gros, au Bonhomme (le Père créateur ou le Père Noël ?) car sans lui, où serais-je ? Et serais-je seulement ?
Allais, arrêtons-nous là. Voici que minuit approche. Simplement, sortons de notre panier de Noël le plum-pudding de la reconnaissance. 
On a mis Dieu à bien des sauces, plus ou moins à l'abbé Chamel. 
C'est justement l'heure du réveillon !  
Joyeux Noël à tous ! 


Le Père Noël lit les Oeuvres anthumes d'Alphonse Allais.