NOTRE GRAND ROMAN FEUILLETON

" L' AFFAIRE BLAIREAU "

EPISODE DEUX DU CHAPITRE VINGT-TROIS



Le professeur de gymnastique passa une mauvaise nuit.
Si, pourtant, les magistrats se refusaient à prendre au sérieux ses déclarations, si on ne consentait pas à le mettre en prison, que dirait Arabella de Chaville ?
Car ce qu'elle aimait en lui - et il le comprenait bien - c'était la victime autant que le héros.
Sans prison, pas de mariage.
De la naissance et de la particule, la romanesque jeune fille pouvait se moquer, mais pas de l'auréole !
Une auréole ! L'auréole du martyre, il la fallait à Fléchard, coûte que coûte !
Une auréole ! une auréole ! mon royaume pour une auréole !
Aussi, dès le lendemain matin, frappait-il à la porte du procureur.
- Ah ! s'écria le magistrat, c'est vous le nommé Fléchard (Jules) ! Eh bien, le nommé Fléchard (Jules) a raté une belle occasion de se tenir tranquille ! Juste au moment des vacances ! C'est cette époque-là que vous choisissez pour faire ce joli coup !
Fléchard répondit en baissant la tête : 
- Monsieur le procureur, le remords ne choisit pas son jour.
- Le remords ? Ah ! fichez-moi la paix avec votre remords. Le remords de quoi ? D'avoir administré une raclée à cet idiot de garde champêtre ! D'avoir laissé condamner à votre place cette fripouille de Blaireau ! Il n'y a pas de quoi fouetter une puce dans tout cela. Allons, mon ami, rentrez chez vous, et qu'il ne soit plus jamais question de cette ridicule histoire !
- Je vous demande bien pardon, monsieur le procureur, de ne pas être de votre avis, mais je tiens à être incarcéré au plus vite.
- Incarcéré ? non ! Enfermé dans une de fous, plutôt ! Allez-vous-en, mon ami, allez-vous-en !
- Monsieur le procureur, je vous préviens que si vous ne voulez pas me mettre en prison, je m'adresserai à une juridiction supérieure.
- On vous enverra promener.
- Je ne me laisserai pas rebuter.

Et j'irai, s'il le faut,
Jusqu'au garde des sceaux !

- Ecoutez, Fléchard, voulez-vous être raisonnable et remettre cette affaire-là à plus tard, après les vacances ?
- Je veux coucher en prison, ce soir même.
- Je commence à croire que j'ai devant moi un dangereux monomane. Gare à la douche !
- Merci bien, j'en ai pris une ce matin.
- Pas assez forte, sans doute. Allez-vous en !
Et, saisissant Fléchard par le bras, le magistrat mit notre pauvre ami à la porte.

Quel sera l'avenir du pauvre Jules Fléchard ? Pourra-t-il satisfaire les beaux yeux d'Arabella de Chaville ?  Vous le saurez, peut-être, en lisant le prochain épisode de notre grand roman-feuilleton :

" L' AFFAIRE BLAIREAU "

Texte Alphonse Allais
Illustrations Claude Turier (A.A.A.)