NOTRE GRAND ROMAN FEUILLETON

" L' AFFAIRE BLAIREAU "

EPISODE TROIS DU CHAPITRE VINGT-SIX




- Voulez-vous mon opinion, monsieur Dubenoît ? A votre place, je ne me ferais pas de bile ! Montpaillard est une ville très calme, seulement elle s'ennuie. Il n'y a qu'à se promener pendant un quart d'heure pour s'en apercevoir. C'est une ville qui s'ennuie et qui s'ennuie depuis longtemps, peut-être.
- Depuis Henri IV, sous le règne duquel elle fut fondée.
- C'est énorme ! Il n'est pas étonnant qu'à la longue elle ait eu besoin d'un peu de distraction. Elle a pris le premier prétexte qui se présentait. Demandez plutôt à Me Guilloche. Bonjour, monsieur Guilloche ! Notre maire est en train de se lamenter sur le mauvais esprit qui commence à se faire jour dans l'âme de Montpaillard.
- Eh oui, répond le jeune avocat, je crois, sans me flatter outre mesure, que ma conférence sur les erreurs judiciaires a produit une certaine impression dans notre pays.
- Je n'en doute pas.
- Et qu'aux prochaines élections, notre parti aura un peu plus de dix-sept voix. Qu'en pense monsieur le maire ?
- Mais j'en suis sûr, mon cher Guilloche, et je ne saurais trop vous féliciter de votre magnifique désintéressement ! 
- Que voulez-vous dire ? 
- Je veux dire que vous êtes en train de faire la fortune politique de Blaireau, car on crie : "Vive Blaireau ! " On porte Blaireau en triomphe.
- C'est vrai.
- Et vous, est-ce qu'on vous porte en triomphe ? 
- Je n'ai jamais couru après ce genre de popularité.
- C'est bien, Guilloche, c'est même très bien de se sacrifier pour ses convictions, et Blaireau vous devra une fière chandelle, quand il sera député.
- Blaireau, député ! Vous badinez sans doute, monsieur le maire ?
- Moi, pas du tout, et, au fond, je suis ravi de cette tournure que prennent les choses.
- Oh ! ... ravi ?
- Mais parfaitement.  L'arrondissement de Montpaillard sera représenté par un innocent. Ce sera très remarqué à la Chambre et il en rejaillira, je l'espère, quelque gloire sur notre malheureux pays.
- Blaireau député ! Vous êtes fou.
Et Guilloche s'éloigna, en proie, tout de même, à une songerie qui frisait l'inquiétude.

L'inquiétude de Me Guilloche est-elle justifiée ? et si monsieur le maire avait raison ?  Vous le saurez, peut-être, en lisant le nouvel épisode de notre grand roman-feuilleton :

" L' AFFAIRE BLAIREAU "

Texte Alphonse Allais
Illustrations Claude Turier (A.A.A.)