NOTRE GRAND ROMAN FEUILLETON

" L'AFFAIRE BLAIREAU "

EPISODE TROIS DU CHAPITRE VINGT-SEPT


Le maire a amené avec lui son garde champêtre. 
- Excellente idée ! dit le baron, nous allons le mettre au guichet de l'entrée... De cette façon, messieurs les commissaires seront tout libres de circuler et de s'amuser dans la fête. Est-il intelligent, votre garde champêtre ? 
- Il n'est pas intelligent et je l'en félicite, il est mieux qu'intelligent, il est discipliné. 
- Tous mes compliments ! Cela suffit pour la mission que nous allons lui confier... Garde champêtre ! 
- Monsieur le baron ? 
- Apportez la plus grande attention à ce que je vais vous dire. 
- Oui, monsieur le baron. 
- Vous vous tiendrez à ce bureau, près de cette grille. Vous ferez payer cinq francs à toutes les personnes qui entreront, sauf, bien entendu à celles qui apportent leur concours à la fête, dames vendeuses, musiciens, jeunes gens du cirque etc. Avez-vous bien compris, mon ami ? 
- Parfaitement, monsieur le baron, j'ai bien compris. 
- Répétez-moi votre consigne. 
- Faites payer cent sous à tout le monde, excepté à ceux qui apportent leur concours. 
- Parfaitement. Tenez-vous dès maintenant à votre poste, car voici qu'il est deux heures. La foule ne va pas tarder à se ruer.
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Cependant la foule ne se rue pas. 
Nul être payant ne s'est encore présenté au guichet et l'heure s'avance. 
M. Dubenoît aurait énormément ri dans sa barbe, s'il avait eu une barbe, mais, par malheur, il était entièrement rasé. 
Ah ! voici quelques personnes ! 
C'est Me Guilloche et sa famille. 
Après un court échange de paroles avec le garde champêtre, tous ces gens pénètrent sans payer ; Guilloche tient à s'expliquer. 
- Nous nous sommes permis, mon cher Blaireau, ma famille et moi, d'entrer à votre fête sans payer... 
- Mais vous avez bien fait, monsieur Guilloche, vous avez bien fait ! ... Comment me trouvez-vous ? 
- Splendide, Blaireau, splendide ! Décidément, vous étiez fait pour porter l'habit noir ! 
- J't'écoute ! Ça me va mieux que les cochonneries que vous m'aviez mises sur le dos l'autre jour, hein, farceur ! 
Depuis sa sortie de prison, Blaireau est devenu extraordinairement familier avec son avocat. 
Il lui prodigue des tapes amicales, des appellations entachées de trivialité, il prend même des airs protecteurs qui finissent par agacer Guilloche. 
Et puis, répétons-le, la popularité croissante de Blaireau n'est pas sans inquiéter un peu notre jeune ambitieux. 
Blaireau député ! Est-ce qu'on sait jamais, avec le suffrage universel ? 

Blaireau sera-t-il de plus en plus familier avec Me Guilloche ? Sera-t-il vraiment le héros de la fête ? Vous le saurez, peut-être,  en  lisant le prochain épisode de notre grand roman-feuilleton :

" L'AFFAIRE BLAIREAU "

Texte Alphonse Allais
Illustrations Claude Turier (A.A.A.)