NOTRE GRAND ROMAN FEUILLETON

" L' AFFAIRE BLAIREAU "

EPISODE UN DU CHAPITRE VINGT-QUATRE


Dans lequel le lecteur,
non seulement n'assistera pas à la sortie de Blaireau,
mais encore verra ce malheureux enfermé
dans un sombre cachot



L'affaire Blaireau commençait à causer un grand tapage dans Montpaillard. Jamais les dix-sept membres du parti révolutionnaire ne s'étaient vus à pareille fête et ils entretenaient, avec une habileté diabolique, cette agitation, que le maire, M. Dubenoît, combattait avec l'énergie du désespéré.
Le Réveil de Nord-et-cher avait publié, vers midi, une seconde édition plus incendiaire encore que celle du matin. 
Et illustrée !
Grâce à un vieux cliché, trouvé dans les caves de l'imprimerie, Blaireau était représenté chargé de chaînes, accroupi dans un hideux cachot qu'éclairait un soupirail étroit mais outrageusement grillagé.
Des bêtes de toutes sortes grouillaient sur le sol humide de cet in pace.
Comme légende, ces simples mots : Un innocent, à Montpaillard, à la fin du dix-neuvième siècle ...
Un exemplaire de ce journal avait été apporté à Blaireau par son ami Victor, le gardien.
- Tiens, regarde ça, mon vieux. Ils t'en ont fait une tête !
- Je ne suis pas de ton avis, répond Blaireau avec conviction. Moi, je me trouve bien ressemblant.
- Mon pauvre Blaireau !
- Attends un peu, Victor, je vais leur en fiche, moi, du pauvre Blaireau !
- Comment ! tu vas sortir bientôt et tu n'es pas content !
- Ah ! fichtre non, je ne suis pas content ! Et je vais leur montrer de quel bois il se chauffe, le pauvre Blaireau !
- A qui donc en veux-tu si fort ?
- A qui j'en veux ? Mais aux gens du Parquet, à ce vieux serin de Dubenoît, à tous ces mauvais gars de la gendarmerie. Attends un petit peu que je sois sorti !
- Tu ne les mangeras pas tout crus ?
- Non, je me gênerai ... Tu me prends sans doute pour un autre, mon pauvre Victor. Tu t'imagines probablement que je suis encore le simple et banal Blaireau d'autrefois !
- Quoi ! tu vas monter sur le trône de France, à cette heure ?
- Non, mais je suis le porte-drapeau des persécutés !
- Bigre !
- Je suis président d'honneur !
- Fichtre !
- Je suis le héros, tu entends bien, le hé-ros d'une fête organisée par un baron !
- Mazette ! 
- Et c'est ce Blaireau-là qu'on a le toupet de ne pas remettre en liberté ! Ah ! ils entendront parler de moi ! 
Blaireau, grisé de ces propres paroles, était arrivé au dernier degré de l'exaspération, et ses clameurs protestatives faisaient trembler les murs de la prison. 

Quelles suites l' innocent Blaireau donnera-t-il à ces événements ? Vous le saurez, peut-être, en lisant le prochain épisode de notre grand roman-feuilleton :

" L' AFFAIRE BLAIREAU "

Texte Alphonse Allais
Illustrations Claude Turier (A.A.A.)